Ce commentaire d’arrêt nous a aimablement été communiqué par Maître Jean-Pierre SAUL-GUIBERT, éminent spécialiste des baux commerciaux. Nous l’en remercions vivement.
CASSATION 3 °Chambre Civile :
Arrêt du 11 janvier 2024, publié au bulletin, pourvoi n° E 22-16.974
CONGÉ AVEC OFFRE DE RENOUVELLEMENT :
Les éléments de la procédure sont apparemment d’une grande simplicité : un couple de restaurateurs bénéficient d’un bail commercial consenti par une communauté de communes et celui-ci vient à renouvellement.
Le bail venant à échéance, la bailleresse a fait délivrer aux exploitants un congé avec offre de renouvellement mentionnant des conditions de contenance des lieux loués et d’obligations d’entretiens différentes de celles figurant dans le bail initial.
En désaccord avec ces nouvelles conditions et ayant quitté les lieux ensuite de la notification de ce congé, les preneurs sollicitent le paiement d’une indemnité d’éviction.
La Cour d’Appel de BORDEAUX, par arrêt du 29 juin 2022 jugeait bon d’estimer que les modifications critiquées n’auraient certes pas dû figurer dans le congé ; cependant, cet acte pouvait être considéré comme « une offre de régularisation d’un nouveau bail » (sic).
En conséquence, les restaurateurs ayant quitté les lieux ne pouvaient en tirer argument pour prétendre à une indemnité d’éviction.
La Cour de Cassation par trois motifs précis casse l’arrêt rendu par la Cour d’Appel de BORDEAUX en énonçant :
– Il résulte de la combinaison des articles 1103 du Code Civil et L 145-8 et L 145-9 du Code de Commerce que « A défaut de convention contraire, le renouvellement du bail commercial s’opère aux clauses et conditions du bail venu à expiration » (sauf évidemment le pouvoir reconnu au juge de loyers en matière de fixation de prix).
– « Le congé est un acte unilatéral qui met fin au bail par la seule manifestation de la volonté de celui qui l’a délivré »
– « Un congé avec offre de renouvellement du bail, à des clauses et conditions différentes de celles figurant dans le bail expiré, hors le prix, doit s’analyser comme un congé avec refus de renouvellement ouvrant droit à une indemnité d’éviction »
Cette décision s’avère particulièrement importante par ses conséquences tant juridiques qu’économiques.
Sur le plan juridique il va de soi que cet arrêt n’est pas de nature à interdire les négociations qui ont souvent lieu lors du renouvellement du bail ; en revanche il confirme le seuil limite que constitue la délivrance du congé.
Si celui-ci entend imposer des clauses nouvelles non prévues dans le bail initial il pourra être assimilé à un congé avec refus de renouvellement avec toutes ses conséquences.
Le but d’une telle jurisprudence aussi nette que précise est aussi de mettre en échec toute tentative de pression ou d’intimidation de la part du bailleur.
Une telle décision invite les praticiens du Droit à être d’une extrême prudence dans d’éventuelles négociations et de passer si cela s’avère nécessaire par un protocole préalable avant toute initiative officielle.
Notons enfin, que dans le cas d’espèces tranché par l’arrêt du 11 janvier 2024 la bailleresse ne dispose même pas de l’issue de secours que constituerait le droit de repentir, puisque les locataires ont déjà régulièrement quitté les lieux…
« Dura lex, sed lex » …
Jean-Pierre SAUL-GUIBERT
Avocat honoraire consultant
LSC Avocats Grenoble